fréquentent les côtes de cette vaste île que pour y saler et sécher leurs prises. Lorsque la France perd Terre-Neuve et l’ Acadie par le traité d’Utrecht de 1713, son économie est dangereusement mena- cée. On comprend alors l’importance que prennent les îles Royale et Saint-Jean ainsi que le Labrador””.
La pêche en Amérique, qui requiert un grand nombre de jeunes hommes, joue un rôle double. La France, tout comme l’Angleterre, compte sur la pêche à la morue pour le recrutement de ses marins. Les jeunes de seize à dix-huit ans sont d’abord initiés à la mer et aux navires, puis appelés à faire partie des équipages de la Marine royale. Au XVII siècle, une puissante marine militaire entraînée représente un élément essentiel du pouvoir d’une nation*.
Si la France assure la formation de ses marins et la protection de l’industrie de la pêche, elle veut aussi affirmer sa souveraineté sur ses possessions lointaines en y établissant des colonies. Mais c’est une aventure coûteuse et non rentable à court terme, contrai- rement à la pêche. Comme tous les pays colonisateurs de l’époque, la France a recours aux concessions. En d’autres mots, elle concède un territoire en accordant le monopole de pêche à une personne ou à une compagnie qui est tenue d’amener des colons sur la terre concédée et d’assumer les dépenses de l’établissement””. C’est ainsi que le comte de Saint-Pierre et sa Compagnie de l’Isle Saint-Jean étaient tenus de coloniser l’île pour conserver le monopole de la pêche dans ses eaux.
Comme nous l’avons déjà vu, la Compagnie fait rapidement faillite. En 1722, deux ans seulement après le début de la colonie, le comte de Saint-Pierre s’apprête à abandonner son établissement. La concurrence des pêcheurs de l’île Royale et de la France pose des problèmes financiers à la Compagnie de l’Isle Saint-Jean qui a déjà investi plus de 8000 livres pour l'établissement de sa colonie*®. Selon ses dirigeants, seul le contrôle de la pêche à la morue et aux loups marins peut garantir le succès de la colonie. Ainsi fait-on appel à l’amiral de France pour lui demander de protéger les droits de pêche de la Compagnie contre «l’avidité et l’envie des pescheurs voisins de ces costes*”». Malheureusement, l’aide de la France ne suffit pas et le comte doit abandonner son établissement“.
Pendant toute la période du Régime français, Havre-Saint-Pierre demeure l’établissement le plus peuplé de la colonie et le principal centre de pêche. En 1734, 33 familles de pêcheurs y sont établies. Ces pêcheurs sont originaires de France, surtout de Normandie, de
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