Comment ce «régime seigneurial» affecte-t-il les Acadiens? Dès le début, le système trouble les familles acadiennes rétablies dans l’île. Certains propriétaires, ou leurs agents, exploitent sans scru- pules ces familles. William Cooper, politicien fort populaire et défenseur des locataires, résume lucidement comment les Acadiens ont pu servir les intérêts des grands propriétaires. Il écrit, en 1844 :
On a permis aux Acadiens-Français, demeurés dans l’île, de prêter le serment d’allégeance. On les a aussi encouragés à s’établir. Ils ont ainsi été encouragés par les officiers britanniques, en charge à l’époque, qui leur ont promis la protection personnelle et celle de leurs propriétés foncières. Les Acadiens ont alors été laissés en paix jusqu’à l’arrivée des émigrants britanniques. À ce moment-là, les concessionnaires ont ordonné aux Acadiens de payer rente ou d’abandonner leurs terres mises en valeur, et ce, parce qu’ils n’étaient pas des protestants étrangers. Ils ont choisi de quitter leurs terres et ils ont acheté du terrain en friche d’un autre propriétaire. De cette manière, les deux propriétaires ont tiré profit de ce transfert. L’un a gagné sur la valeur du défrichage effectué par les Acadiens, plus une rente annuelle pour la location de cette propriété. Quant à l’autre, il a mérité un nombre de colons, un prix élevé pour sa terre, sans compter l'intérêt sur le profit de la vente.!$
Certains Acadiens, fort endettés, quittent leurs terres pour se diriger vers un autre lot. Après s’être rétablis pendant un certain nombre d’années, ils doivent ou bien se rendre aux exigences d’un agent ou bien repartir et recommencer le défrichage ailleurs. Tel est le sort réservé à de nombreuses familles.
Reste à savoir si les Acadiens avaient légalement le droit de s'établir dans l’île après la conquête anglaise. Les opposants anglo- phones des grands propriétaires, qui siègent à l’Assemblée légis- lative de l’île en 1850, affirment que les colons français en avaient le droit. Dans un mémoire à la reine d’Angleterre, les députés font remarquer que le traité de Paris (1763) stipulait que les habitants des colonies françaises conquises ne seraient pas dépossédés. Au dire des législateurs, seuls les droits des Acadiens de l’île n’ont pas été respectés en ce sens. Lors de la concession de l’île aux proprié- taires, on n’a pas tenu compte des Acadiens. Les auteurs du mémoire demandent donc à Sa Majesté de considérer cette injustice et de réparer le tort fait aux Acadiens en leur concédant des terres de la Couronne à des conditions généreuses!”
L’Assemblée législative de l’île donne une interprétation large du traité de Paris en ce qui concerne les Acadiens. En fait, le traité dit seulement que les habitants français du Canada (Québec) restent propriétaires de leurs biens. Les Acadiens ne semblent pas inclus
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