détenir un pouvoir formidable. De leur côté, les Acadiens semblent manifester un dévouement et une obéissance presque irréprochables à leur chef spirituel. Avant de lancer un projet susceptible d’in- fluencer la vie collective, les fidèles s’assurent en premier lieu de l’appui du clergé ; sans cela rien ne peut bouger. Voici ce qu’Israël Landry écrit, en 1867, à l’historien français Edme Rameau de Saint- Père :
.… nos braves Acadiens sont Catholiques, et [ils] ne désirent rien faire qu’ils savent être contre le désir de leurs curés. S’ils ont un curé qui veut leur bien, vous les voyez de tout coeur s’unir à lui dans tout ce qu’il désire entreprendre pOur eux ; prenez pour exemple Rustico — Miscouche, — Memramcook, etc.
Pour la majorité des gens, le prêtre représente un être presque intouchable. Même s’il a des défauts et même s’il abuse de son pouvoir, on ne prend pas la liberté de le critiquer. L’anecdote suivante démontre bien cette mentalité. Un colporteur de Shédiac, en visite chez une famille d’Abram-Village au début du XX° siècle, se risque à faire quelques observations critiques sur certains prêtres. Une grand- mère écoute attentivement les propos «scandaleux» du visiteur puis elle s’avise soudainement de lui faire la morale : «Ne saviez-vous pas, lui dit-elle sévèrement, que Notre-Seigneur a dit : ‘Qui touche à mes prêtres me touche à la prunelle de l’oeil?’« Stupéfait devant cette riposte inattendue, l’étranger lui renvoit aussitôt la question : «Dans quel livre que vous avez vu ça?» Et la vieille lui réplique :
«J'ai lu ça dans des meilleurs livres que tu lis!!?»
Il faut dire qu "il y a beaucoup d’Acadiens de la trempe de cette vieille dame, qui respectent tout ce que l’Église prêche. Cela n’em- pêche pas certains Acadiens de contester quelquefois les directives de leurs curés et d’oser même leur désobéir publiquement. À Mont- Carmel, vers 1880, quelques paroissiens en dispute avec le vieux Père Sylvain-Ephrem Poirier formulent des menaces contre lui et incitent même les autres paroissiens à lui refuser le bois de chauffage de l’église et du presbytère, tenant que cette obligation ne se trouve ni dans la Bible ni dans les préceptes de l'Église. Parfois ces contestations sont justifiées parce qu’il arrive que certains curés abusent de leur autorité en dénonçant des paroissiens du haut de la chaire, portant ainsi atteinte à leur honneur!°. Mais d’une manière générale, les paroissiens acadiens tiennent leurs curés en grande estime. On lui rend souvent hommage lors de son anniversaire sacer- dotal, de son départ de la paroisse ou encore seulement lors d’un
104