prêts afin qu’ils puissent s’équiper pour la pêche et acheter de la mélasse, de la farine et quelques autres aliments pour nourrir leurs maisonnées. Dans bien des cas, ces mêmes employeurs sont aussi propriétaires des magasins. Les pêcheurs et les ouvriers d’usine sont fréquemment fils de fermiers ou sont eux-mêmes cultivateurs. Pour eux, la pêche permet d’augmenter le maigre revenu de leur travail à la ferme. Leur situa- tion est moins précaire que celle des pêcheurs non fermiers car ils peuvent au moins nourrir leur famille avec les produits de leur exploitation agricole. La pénurie de terres disponibles pour la génération montante et le morcellement des fermes contraignent les jeunes désireux de demeurer sur place, à se tourner vers la mer. C’est bien la situation qui prévaut dans la majorité des paroisses acadiennes. La grande paroisse de Tignish n’y fait pas exception, comme le constate Pascal Poirier en 1875 : La paroisse de Tignish comprend huit cents familles, presque toutes acadiennes. La grande majorité des habitants s’occupent de pêche en même temps que d’agriculture. [...] Le sol est très fertile et nous croyons que les cultivateurs de Tignish savent tirer profit de cette fertilité. Mais le père de famille ne peut étendre, agrandir son patrimoine pour la bonne raison qu’il n’y a plus de terre vacante à concéder. Ce qui fait qu’il est souvent obligé de partager son bien avec ses enfants : ce partage fait que la part de chacun se trouve trop petite pour qu’elle puisse subvenir à tous les besoins ; de là on est obligé de se livrer plus ou moins à la pêche. Et cet état de choses va toujours s’aggravant davantage. 7 Pascal Poirier propose l’émigration et la colonisation comme solution à ce problème. Il se garde de promouvoir la pêche car, comme la plupart des chefs de file acadiens de l’époque, il soutient que le bien-être des Acadiens dépend de l’exploitation du sol. On considère la pêche comme une activité fort inférieure à celle de l’agriculture et même néfaste pour l’économie acadienne. L’ho- norable Stanislas-F. Perry, pourtant, ne partage pas cette opinion. Au cours d’une assemblée des habitants de l’Etang-des-Clous (Nail Pond), près de Tignish, il assure à ses auditeurs — la plupart des pêcheurs — que leur travail est utile et vaut la peine d’être encou- ragé. «La pêche, leur dit-il, n’est pas une affaire si méprisable que quelques-uns se l’imaginent et ne doit pas être foulée aux pieds ; les pêcheurs doivent être aidés et encouragés parce qu’il n’y a pes d’occupation aussi rémunérative pour le revenu que la pêche!” .» 149