Carmel, les fermiers se tournent eux aussi vers l’industrie laitière et construisent en coopération une fromagerie à Abram-Village, en 189657. Les fermiers acadiens de Tignish et de Palmer Road, avec leurs voisins anglophones, en font autant en 1898%%. Au tout début du XX° siècle, des beurreries sont construites à Saint-Louis et Wellington mais ne durent que peu de temps®°?. Les fermiers acadiens profitent aussi, comme nous le verrons plus loin, du mouvement des instituts agricoles et de tous les avantages qui en découlent. L’émigration Malgré toutes ces transformations, la plupart des fermiers acadiens manquent de capitaux et exploitent de petites terres souvent mal drainées et épuisées. Le produit de leur travail est rarement suffisant pour faire vivre convenablement leurs grandes familles. À la recherche d’un revenu d’appoint, ils recourent de plus en plus à la pêche ou à une autre activité rémunérée. D’autres quittent tout simplement la province. Comme à certains moments de l’histoire des Acadiens de l’île, l’émigration apparaît comme une solution inévitable. Les bonnes terres vacantes n’existent plus et la nouvelle génération, alléchée par l’abondance des emplois dans les centres industriels des États-Unis, préfère s’exiler que de mener la vie diffi- cile et peu rentable du petit fermier. La mauvaise conjoncture écono- mique de l’île, voire des Provinces Maritimes, provoque un fort mouvement d’émigration qui entraîne une diminution importante de la population insulaire ; elle tombe de 109 000 à 88 000 entre les années 1891 et 1931%. Cette saignée vers les États-Unis inquiète les chefs de file acadiens des Maritimes. Ils craignent que la vie urbaine américaine n’enlève aux Acadiens leur langue, leur culture et leur religion. Dans l’espoir d’arrêter ce courant migratoire, ils prêchent encore plus fort la colo- nisation pour fonder surtout de nouvelles paroisses acadiennes sur les terres de la couronne du Nouveau-Brunswick. Ce discours se fait principalement entendre à partir de la première Convention nationale des Acadiens (1881), durant laquelle une société de colo- nisation est mise sur pied. Plusieurs leaders de l’île appuient cette orientation et encouragent leurs compatriotes à se faire défricheurs dans les nouvelles colonies. De nombreuses familles quittent effec- tivement l’île à la fin du XIX® siècle et se fixent à Rogersville et à Adamsville, au Nouveau-Brunswick, alors que d’autres maisonnées rejoignent la colonie acadienne de Matapédia, au Québec°!. Un Acadien de Tignish, installé à Rogersville, écrit dans L’Impartial 206