en 1895 pour exhorter ses compatriotes à se diriger vers Rogersville au lieu de franchir la frontière américaine :

J’invite nos jeunes hommes qui n’ont pas peur de se servir de leurs bras à y venir et y acquérir de belles terres qu’on peut obtenir à des conditions très avantageuses, au lieu de s’en aller épuiser leur santé et se faire esclaves au delà des lignes.

Puisque nous sommes condamnés à gagner notre pain à la sueur de notre front, il n’est pas plus pénible de travailler à Rogersville qu’ailleurs.….°?

La question de la colonisation à l’extérieur de l’île préoccupe beaucoup les gens de l’époque. On discute du problème dans les cercles de délibérations. En 1896, à Duvar, on se pose la question : «Est-il prudent de conseiller à nos jeunes gens d’émigrer à Matapédia”?» L'année suivante les gens de Saint-Louis abordent le sujet à leur tour. Ils se demandent : «Est-il plus avantageux pour nos Acadiens de l’Île dans les circonstances actuelles, d’émigrer

aux provinces voisines que de rester au pays”*?»

Si de nombreuses familles vont s’établir dans les colonies, les jeunes célibataires, eux, préfèrent les villes industrielles de la Nouvelle-Angleterre aux forêts vierges du Nouveau-Brunswick et du Québec. Ils émigrent aux Etats-Unis en grand nombre, et ce, jusqu’à la crise économique des années 30 qui ralentit considéra- blement ce courant migratoire.

Le discours en faveur de la colonisation va de pair avec le discours agricole. Les chefs de l’époque cherchent à garder les Acadiens dans l’agriculture ils voient une plus grande stabilité économique et un avenir plus prometteur que dans le domaine de la pêche. La rédaction de L’Impartial répète souvent de tels propos :

Si l’on établit une comparaison entre ceux qui confient leur avenir à la culture du sol et ceux qui se fixent aux revenus de la pêche, on arrivera promptement à la preuve concluante que plus tôt l’on abandonnera la côte pour suivre la charrue, mieux l’on s’en trouvera. Travaillons nos terres, c’est notre avenir. °°

Comme nous l’avons déjà vu, l’idéologie ultramontaine, qui prévaut toujours au sein de l’Église, lie la culture du sol à la conser- vation de la culture canadienne-française et de la religion catholique. En 1932, Jean-François Arsenault, dans un éloge de l’agriculture qu’il présente lors du premier Congrès national acadien de l’île, rappelle à ses auditeurs des propos qui leur sont familiers : «L’agri- culture est la base et le soutien de nos institutions religieuses et

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