102 PAR UN DIMANCHE AU SOIR

la simple raison que le meurtrier était de la paroisse. Elle ne voulait surtout pas blesser la parenté du jeune homme :

Comme ceux qui se noyont, bien c’est des accidents. Ça, ici, c’est un accident sur un bord, puis sur l’autre bord, c’est une personne. Me ressemble c’est dur pour une personne qui a tué, hein? quand on la connaît. Si ç'avait été quelqu'un en dehors que j'aurais pas connu... Bien c’est si fait que j'ai pas voulu.

Oui, j'avais pensé plusieurs fois d’en composer une. Des fois, j'en avais des grands bouts de parés.

Ces paroles témoignent de la sensibilité et de la conscience sociale de Léah. Une mort violente comme celle-là ne s'était jamais produite dans son milieu. Spontanément, elle sentait le besoin d'exprimer par la complainte le désarroi de la communauté et toute la compassion qu’elle ressentait pour la famille durement éprouvée. En même temps, elle n’était pas insensible à la douleur que subis- saient aussi la famille et la parenté du jeune meurtrier. Elle ne pouvait se permettre d’alourdir leur souffrance.

Léah a composé presque toutes ses chansons pour d’abord les chanter elle-même. Elle ne pensait pas sérieusement que ses compo- sitions allaient lui survivre. Du moins, je ne pense pas qu'elle y songeait avant que je commence à les enregistrer. En 1977, je lui ai demandé si elle pensait qu’on allait continuer à interpréter ses chansons après sa mort :

Tant qu’à moi, je peux rien dire sur ça. Peut-être non. C’est votre désir?

Ah bien! moi, ça me ferait pas de différence en toute. Seriez-vous contente?

Ah oui!

Comme j’insistais souvent sur le fait de consigner ses chansons sur bande magnétique pour la postérité, elle est en quelque sorte entrée dans le jeu. Ainsi, elle a demandé aux membres de sa famille d'enregistrer sa composition sur sa vieillesse pour qu’ils puissent la

conserver en sa mémoire. D'autre part, elle a fait la chanson sur l’ordination de père Albin Arsenault comme un cadeau-souvenir.